Stadium Tour (3/10): Stade Maksimir, le poumon de Zagreb.
- leobocquillon
- 5 févr. 2024
- 11 min de lecture
Dans cette série de 10 articles nous allons nous intéresser à des stades mythiques, leurs histoires, ce qui les rends uniques et leurs populations. Pour ce troisième épisode direction Zagreb pour parler du Stade Maksimir qui abrite un groupe d'ultras les plus influents d'Europe.

Histoire du Stade:
Nom: Le nom du stade Maksimir tire son origine du quartier dans lequel il est situé, Maksimir, à Zagreb. Ce quartier, à son tour, tire son nom du parc Maksimir, l'un des plus grands et des plus anciens parcs publics de Zagreb, situé à proximité du stade. Le nom "Maksimir" est un dérivé de "Maksimilijan", en l'honneur de l'évêque qui a joué un rôle clé dans l'aménagement de cette zone verdoyante et de loisirs pour les citoyens de Zagreb. Au fil des ans, le nom Maksimir est devenu synonyme du parc, du quartier et, bien sûr, du stade, qui est un lieu central pour le football et les événements culturels à Zagreb.
Historique : Le Stade Maksimir, est un emblème sportif et culturel du pays, avec une histoire riche et complexe qui reflète les turbulences de la région au fil des décennies. Le Stade Maksimir a été inauguré le 5 mai 1912, mais sa forme actuelle a principalement été façonnée dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Originellement conçu comme un espace multifonctionnel, il comprenait une piste d'athlétisme, des terrains de football et de handball, ainsi que diverses installations pour d'autres sports. Le stade a subi plusieurs phases de rénovation et de modernisation. Le premier grand réaménagement a eu lieu en 1948, suivi d'importants travaux de rénovation dans les années 1990, visant à moderniser le stade et à augmenter sa capacité. Malgré ces rénovations, des problèmes structurels et des critiques sur la qualité des infrastructures ont persisté. Au fil des ans, le stade a fait l'objet de critiques en raison de son état de délabrement et de la nécessité de rénovations supplémentaires. Les projets de rénovation ou de reconstruction complète ont été un sujet de discussion récurrent, reflétant une volonté de préserver l'importance du stade dans le patrimoine sportif et culturel croate, tout en répondant aux standards modernes. Aujourd'hui, le Stade Maksimir reste un symbole puissant pour les habitants de Zagreb et les supporters du Dinamo, incarnant à la fois la gloire sportive et les défis historiques et contemporains de la Croatie.
Une date: Le 13 mai 1990 est une date gravée dans l'histoire du football yougoslave et croate, non pour le jeu sur le terrain, mais pour les événements dramatiques et symboliques qui se sont déroulés dans le stade Maksimir de Zagreb. Ce jour-là, le match entre le Dinamo Zagreb et l’Étoile Rouge de Belgrade était prévu, mais il est devenu tristement célèbre pour les affrontements violents entre les supporters des deux équipes, plutôt que pour le football. Cet épisode ne peut être dissocié du contexte politique de l'époque. En 1990, la Yougoslavie était une fédération au bord de l'implosion, avec des tensions croissantes entre les différentes nationalités qui la composaient. La Croatie, en particulier, était en pleine effervescence politique après les élections du 6 mai 1990, qui avaient vu la victoire de Franjo Tuđman et de son parti nationaliste. Sur le terrain, le match était hautement attendu, opposant deux des clubs les plus importants et les plus titrés du pays. Cependant, au lieu d'une confrontation sportive, le stade est rapidement devenu l'arène d'affrontements violents. Les supporters de l’Étoile Rouge, connus sous le nom de Delije, et les Bad Blue Boys de Zagreb se sont affrontés dans des scènes chaotiques, utilisant des pierres, des bâtons et d'autres projectiles. Un moment particulièrement marquant de ces affrontements a été l'intervention de Zvonimir Boban, joueur du Dinamo Zagreb, qui a défendu un supporter croate des coups d'un policier. Ce geste est devenu emblématique et est souvent interprété comme un acte de résistance croate face à l'autorité perçue comme oppressive de Belgrade. Les affrontements au stade Maksimir ont été largement interprétés comme un microcosme des tensions qui allaient conduire à l'éclatement de la Yougoslavie et aux guerres qui ont suivi. La violence dans le stade ce jour-là est souvent considérée comme un précurseur direct des conflits à venir, reflétant les divisions profondes et les sentiments nationalistes qui s'intensifiaient dans la région. En somme, le 13 mai 1990 au stade Maksimir n'est pas seulement une date dans l'histoire du football, mais un moment charnière qui a illustré de manière dramatique et violente les fractures profondes au sein de la Yougoslavie, annonçant une période de grandes turbulences et de changements pour la région.

Caractéristiques du Stade :
Selon Dejan Lovren c'est "un des stades les plus laids d’Europe", avec ses quatre tribunes ouvertes et son architecture traditionnelle, le stade Maksimir, peut accueillir 35 000 personnes. Il représente une curiosité dans le monde du football moderne. En effet, son design, manquant de cohérence esthétique, lui confère un aspect particulièrement austère. Le fait que l'équipe nationale de Croatie vice-championne du monde joue régulièrement dans ce stade, ainsi que le Ballon d'Or 2018, Luka Modric, souligne un contraste frappant, presque anachronique, entre le prestige des joueurs et l'ancienneté de l'enceinte. L'absence de toiture du Maksimir rend les spectateurs vulnérables aux intempéries, les exposant à la pluie dès que le temps se gâte. Cet élément souligne davantage le contraste entre ce stade et les installations modernes auxquelles on pourrait s'attendre pour des équipes et des joueurs de ce calibre.

Population :
Dans les années 80, le hooliganisme, phénomène originaire d'Angleterre, se répand à travers l'Europe, y compris dans les Balkans, trouvant un écho dans des conditions socio-économiques similaires : pauvreté, chômage, instabilité politique et économique, ainsi qu'une désillusion croissante parmi la jeunesse. Ce phénomène, principalement caractérisé par sa jeunesse, sa nature masculine et sa tendance à se manifester en groupe, devient un moyen d'expression identitaire, soulignant une forte connexion au territoire et à la notion de défense de ce dernier. Toutefois, dans cette région, le hooliganisme acquiert une dimension nationaliste unique, se nourrissant des vulnérabilités des États en perte de cohésion.
Au sein de ce contexte, les Bad Blue Boys (BBB), fervents supporters du Dinamo Zagreb, voient le jour en 1986. inspirés par le film "Bad Boys" de 1983, les Bad Blue Boys se sont vite fait connaître par leur engagement fervent envers leur équipe, mais aussi par leur implication dans des controverses et des affrontements.
Bien qu'ils ne soient pas les pionniers dans ce domaine – leurs rivaux de la Torcida de Split, le plus ancien groupe de supporters en Europe, existent déjà depuis 36 ans –, les BBB s'affirment rapidement comme une force majeure du supportérisme en Europe. Peu de temps après leur formation, leur réputation de groupe intimidant et provocateur, tant verbalement que physiquement, se propage dans les stades européens, marquant ainsi leur empreinte dans l'histoire du hooliganisme européen.
Les Bad Blue Boys (BBB) ont été rapidement entraînés dans les remous tumultueux de l'histoire dès leur formation. À l'aube des années 90, la Yougoslavie est secouée par des tensions croissantes. Slobodan Milosevic, au pouvoir à Belgrade, nourrit des ambitions expansionnistes pour une « Grande Serbie », ambition couvrant une grande partie de l'ancienne fédération. Parallèlement, en Croatie, les élections législatives du 6 mai 1990 propulsent Franjo Tuđman, figure emblématique du nationalisme croate, à la tête du pays.
Dans ce climat déjà instable, les confrontations entre Milosevic et Tuđman ne font qu'accroître les tensions, chaque leader cherchant à renforcer le sentiment nationaliste au sein de sa population. Les BBB, porteurs d'un fort sentiment nationaliste, s'alignent naturellement avec Tuđman, soutenant fermement ses objectifs d'indépendance pour la Croatie. Cette période marque un tournant crucial pour les BBB, leur identité et leurs actions se confondant de plus en plus avec le contexte politique et nationaliste explosif de l'époque.
En 1991, l'escalade des tensions entre Zagreb et Belgrade atteint son paroxysme, ouvrant la voie à un conflit armé après la déclaration unilatérale d'indépendance de la Croatie. Dans ce contexte de guerre émergente, les rivalités sportives se superposent aux enjeux nationaux, et les groupes de supporters se transforment en combattants. Les Delje, supporters de l'Etoile Rouge de Belgrade, rejoignent les rangs des Tigres d'Arkan, dirigés par Željko Ražnatović, un groupe qui se rendra responsable de multiples atrocités. Parallèlement, les Bad Blue Boys, loyaux envers le président croate Tuđman, s'enrôlent en masse dans les forces armées croates, utilisant le badge de leur club, le Dinamo Zagreb, comme insigne sur leurs uniformes, en l'absence de symboles militaires officiels.
Après la guerre, alors que la vie civile reprend ses droits, les anciens combattants retrouvent leur identité de supporters. Cependant, la transition vers une Croatie indépendante ne répond pas aux attentes des nationalistes, qui perçoivent le nouveau pays comme corrompu et éloigné de leurs idéaux.
En 1993, dans un geste symbolique visant à rompre avec l'héritage yougoslave, le président Tuđman renomme le Dinamo Zagreb en Croatia Zagreb. Cette décision se heurte à l'opposition ferme des Bad Blue Boys, qui voient dans le nom Dinamo une part intrinsèque de leur héritage. Leur résistance s'avère victorieuse : non seulement le parti de Tuđman subit une défaite aux élections législatives de 2000, peu après la mort du président, mais le club retrouve également son nom originel, Dinamo Zagreb, suite à la pression des supporters et du changement politique, marquant ainsi la fin d'une ère et le début d'une nouvelle page pour le club et ses fidèles supporters.
Le sociologue Srđan Vrcan analyse la crise autour du renommage du Dinamo Zagreb comme un moment clé dans la dynamique politique croate, soulignant son importance dans l'évolution de l'opinion publique contre le président Tuđman. Ce conflit entre Tuđman et les supporters du Dinamo, selon Vrcan, a non seulement précédé l'émergence d'une opposition politique significative mais a également joué un rôle précurseur dans la détérioration du soutien à Tuđman et à son parti, le HDZ.
Vrcan observe que le désaccord autour du nom du club a servi de catalyseur, anticipant et amplifiant l'affaiblissement de l'adhésion politique à Tuđman. Ce conflit a eu des répercussions bien au-delà du monde du football, reflétant et alimentant un mécontentement plus large envers la gouvernance de Tuđman. Il marque, selon le sociologue, une étape significative vers le déclin politique de Tuđman, qui s'est finalement concrétisé par la défaite électorale du HDZ en janvier 2000, peu après sa mort. Ainsi, cette crise du football est perçue non seulement comme un symptôme mais aussi comme un facteur contributif à l'érosion politique de Tuđman en Croatie.
La situation des Bad Blue Boys se complique davantage avec l'ascension de Zdravko Mamić au sein du Dinamo Zagreb en 2003. Mamić, une figure extrêmement controversée dans le monde du football croate, instaure au club une oligarchie népotique visant essentiellement le profit. À 55 ans, il est notoirement connu pour ses frasques et provocations variées, allant de déclarations exagérées à des gestes outranciers comme des saluts nazis, des insultes publiques parfois accompagnées de menaces de mort, ou encore des agressions envers les journalistes, les arbitres et d'autres acteurs du football. Au-delà de son comportement provocateur, Mamić est également impliqué dans des pratiques douteuses, notamment des manipulations financières, des matchs arrangés et des transferts frauduleux de joueurs, le tout soutenu par un réseau semblable à une organisation mafieuse.
Un des objectifs majeurs de Mamić est de neutraliser l'influence des Bad Blue Boys, réduisant ainsi leur capacité de contestation. Sous prétexte de se conformer aux directives de l'UEFA contre le hooliganisme, il entreprend une vaste opération d'assainissement des tribunes. Cette opération consiste à éliminer les ultras, justifiée par la nécessité de lutter contre le hooliganisme. Dans une démarche similaire à celle observée dans certains pays d'Europe occidentale, Mamić met en œuvre plusieurs mesures : suppression des places debout, interdiction des fumigènes, multiplication des interdictions de stade, entre autres. Ces actions visent à affaiblir la présence et l'influence des Bad Blue Boys au Dinamo Zagreb et à transformer l'environnement du stade conformément à ses intérêts.

La stratégie déployée par Zdravko Mamić et les autorités pour neutraliser les Bad Blue Boys est effectivement fondée sur une approche relativement simple, mais tactiquement astucieuse. Elle se déploie en deux phases principales. D'abord, il s'agit de discréditer l'image des ultras, en les caricaturant comme des éléments perturbateurs et violents, loin de toute représentation nuancée de leur véritable identité de supporters passionnés. Cette étape vise à préparer le terrain en façonnant l'opinion publique et en justifiant les actions répressives à venir. La seconde phase de cette stratégie consiste à instaurer une série de restrictions et à provoquer délibérément les BBB, dans l'espoir de les inciter à réagir de manière impulsive ou violente. Ces réactions seraient alors utilisées pour confirmer le stéréotype négatif préalablement construit, légitimant ainsi une répression plus sévère et une marginalisation accrue des ultras. Cependant, jusqu'à présent, les Bad Blue Boys ont fait preuve de discernement en évitant de tomber dans ce piège. Ils ont su conserver un certain niveau de retenue face à ces provocations et restrictions, évitant ainsi de donner du crédit à l'image négative que Mamić et les autorités cherchent à propager à leur encontre. Cette prudence reflète une certaine maturité et une stratégie consciente de la part des BBB pour préserver leur réputation et continuer à soutenir leur club de manière constructive.
Face à la répression croissante, à la politique controversée de Zdravko Mamić, et aux mesures de sécurité étouffantes, les Bad Blue Boys ont opté pour une forme de protestation marquante : le boycott massif des matchs. Cette stratégie de résistance s'inscrit dans une longue durée, soulignant leur détermination à se faire entendre sans recourir à la violence. Ce boycott est complété par les nombreuses interdictions de stade qui visent les ultras, ainsi que par le désintérêt croissant des supporters ordinaires, frustrés par l'atmosphère oppressante et les hausses de prix associées aux mesures de sécurité renforcées. Le résultat de cette combinaison de facteurs est frappant : le stade Maksimir, autrefois vibrant de l'énergie et de la passion des supporters du Dinamo, se retrouve désormais presque désert lors des matchs. Cette image d'un stade vide est un témoignage puissant du mécontentement et de la désillusion des supporters, et sert de critique silencieuse mais éloquente de la gestion du club et de l'atmosphère dans le football croate. Le boycott des BBB est ainsi plus qu'une simple absence ; c'est une déclaration, un refus collectif de soutenir un système qu'ils considèrent comme corrompu et aliénant pour la véritable culture du football.
La situation autour du Dinamo Zagreb et des relations entre les supporters, le club et les autorités a atteint un point critique, marqué par des événements et des déclarations remarquables qui auraient été inimaginables il y a quelques années. En mai 2014, un événement sans précédent a eu lieu : lors du derby très attendu entre Zagreb et Split, qui n'a attiré qu'environ 2 000 spectateurs malgré la capacité de 35 000 places du stade Maksimir, les supporters des deux clubs, la Torcida de Split et les Bad Blue Boys de Zagreb, se sont unis dans la même tribune. Ensemble, ils ont protesté contre Zdravko Mamić et la fédération croate de football, accusés de complicité, avec à sa tête Davor Šuker, ancienne gloire du football croate. L'unité de ces groupes de supporters historiquement rivaux s'est manifestée de manière encore plus spectaculaire en novembre, lorsque les supporters de Split ont boycotté le derby pour protester contre les interdictions de stade massives. Dans un geste de solidarité remarquable, les joueurs du Hajduk Split eux-mêmes ont refusé de jouer, acceptant une défaite par forfait et les pénalités associées. Cet événement, largement couvert par les médias, a poussé le président croate de l'époque, Ivo Josipović, à reconnaître publiquement les « très sérieux problèmes » au sein de la fédération de football, soulignant la nécessité de changements fondamentaux. Quant à Zdravko Mamić, malgré ses tentatives de maintenir son emprise sur le Dinamo Zagreb, notamment à travers l'annonce d'une privatisation potentielle du club, beaucoup restent sceptiques. Cette annonce est perçue par certains journalistes sportifs non pas comme une stratégie réfléchie, mais plutôt comme une réaction à la pression croissante des supporters, de la presse, de l'opinion publique, et des cercles politiques et institutionnels. Ces derniers appellent à une réforme des statuts du club, conformément à la législation croate, et à une assainissement financier face à une dette substantielle. Avec l'intervention de la Commission européenne, qui envisage d'interdire le financement des clubs sportifs par les collectivités territoriales, la pression s'intensifie sur Mamić. En 2016 il est contraint de quitter ses fonctions à la tête du club et en 2018, il a été prononcé une peine de six ans et demi de prison à son encontre pour avoir détourné 116 millions de kuna (soit environ 15,7 millions d'euros) des fonds du club de football de la capitale croate, en plus d'avoir soustrait 12,2 millions de kuna (environ 1,7 million d'euros) au fisc. Dans le cadre de cette affaire, Zoran Mamic, frère de Zdravko et ex-entraîneur du Dinamo Zagreb, ainsi que Damir Vrbanovic, ex-dirigeant du club, ont également été reconnus coupables de complicité. Ils ont été accusés d'avoir assisté Mamic dans sa fraude fiscale et d'avoir été impliqués dans des transactions illicites, notamment la distribution et la réception de pots-de-vin. Suite au jugement, Zoran Mamic a été condamné à une peine de prison de quatre ans et onze mois, tandis que Damir Vrbanovic a écopé de trois ans d'emprisonnement.
Au cours de leur existence, les Bad Blue Boys ont été acteurs et témoins des bouleversements politiques et sociaux de la région, notamment pendant la dissolution de la Yougoslavie. Leur identité est fortement marquée par un nationalisme croate fervent, qui a parfois débordé en violences notoires, notamment lors d'affrontements avec des groupes rivaux. Leur opposition ferme aux figures controversées de la gestion footballistique, comme Zdravko Mamić, souligne leur rôle de force contestataire. Malgré les controverses, les BBB restent une composante incontournable de la culture footballistique et sociale des Balkans.

Semaine prochaine direction Glasgow pour parler d'une des diasporas les plus puissantes du monde du football...
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